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Table des matières L'Europe de demain, un cauchemar annoncé ?

La maturation de la démocratie européenne

Quand les grands pays européens s'entendent pour imposer leur loi aux petits

 

L'Europe de demain, un cauchemar annoncé ?

Par Claude Rolin, Secrétaire général de la CSC

L'Europe, c'est tout d'abord un formidable projet, celui de la construction d'un espace de paix et de développement économique et social. L'Europe c'est notre projet, notre rêve : permettre à tous les citoyens de vivre dans la paix et d'avoir de meilleures conditions de vie. Il faut pourtant constater que de moins en moins d'Européens jugent positive l'appartenance de leur pays à l'UE (1). Nous sentons nous aussi cette désillusion chez un grand nombre de nos affiliés, et tout porte à croire que ce ressenti va encore se dégrader dans les prochaines semaines...

Ce 11 mars, un sommet extraordinaire réunira les chefs d'Etat européens, suivi les 24 et 25 mars, par un important Conseil européen. Au menu de ces réunions : le fonds européen de stabilité, le pacte de compétitivité et les programmes nationaux de réforme. La volonté des dirigeants européens est de définir une gouvernance économique. Depuis longtemps, avec les autres syndicalistes européens, nous revendiquons une véritable gouvernance économique européenne car nous sommes convaincus qu'il n'est pas possible de maintenir une monnaie unique sans un projet coordonné de développement économique, social et environnemental. Il nous faut un projet qui donne de l'avenir aux Européens d'aujourd'hui et aux générations futures.

Nous devrions donc être heureux de voir nos responsables se pencher sur cette nouvelle gouvernance. Nous sommes au contraire extrêmement inquiets car les propositions annoncées sont aux antipodes de notre rêve pour l'Europe. C'est même un véritable cauchemar qui nous est annoncé ! C'est le coeur même du projet européen qui est en danger.

A la suite d'une des plus terribles crises que nos Etats aient jamais connues, il a fallu mobiliser d'importants moyens pour tenter de stabiliser l'économie. Les salariés ont été durement mis à contribution pour payer l'addition, subissant licenciements et chômage temporaire. Les Etats ont également été mis lourdement à contribution pour sauver les institutions financières, mais les joueurs du casino financier ont rapidement réorienté leurs activités en spéculant sur la capacité des Etats à assumer te poids de leur dette. Face à ces attaques, l'Europe a accordé certaines aides tout en imposant des mesures d'austérité particulièrement contraignantes.

La récente proposition franco-allemande d'un pacte de compétitivité est révélatrice de la nature de la gouvernance économique qui se met en place en Europe : les seules variables d'ajustement économique sont les politiques sociales et les salaires. On y met clairement en cause l'âge de la retraite et les systèmes d'indexation des salaires. La logique néolibérale est le fil conducteur de cette soi-disant croissance intelligente et durable.

La communication de la Commission européenne sur l'examen annuel de croissance ne laisse aucune place à l'ambiguïté. Dans ses dix priorités, elle attaque frontalement le modèle social européen. Elle prône l'assainissement budgétaire par la diminution des dépenses publiques liées aux transferts sociaux. Elle recommande une modération stricte des salaires, qui doit passer par la révision des clauses d'indexation inscrites dans les systèmes de négociation salariale.

D'autres recettes visent une plus grande libéralisation du secteur des services, la réforme des systèmes de retraites,.. Le contrat de travail lui-même est mis en cause quand la Commission va jusqu'à recommander de réduire la « surprotection » dont bénéficient les contrats à durée indéterminée.

Plusieurs propositions législatives pour renforcer la gouvernance économique devraient également être adoptées en juin, en codécision avec le Conseil Européen. Elles portent entre autres sur la prévention des écarts de compétitivité, l'idée étant d'instituer une sorte de « norme salariale » européenne dont le non respect serait passible de sanctions. On parle aussi de limiter très strictement les dépenses publiques pour maîtriser les déficits des Etats. Quel paradoxe ! Alors que la crise économique et financière a mis en avant toute l'importance du rôle des Etats, des services publics et de la sécurité sociale, ce projet européen de gouvernance économique prend le risque de casser les quelques signes de reprises en menant des politiques de récession.

L'Europe se trouve aujourd'hui devant une responsabilité historique. Elle doit apporter une réponse à la crise et mettre en place une gouvernance économique au bénéfice de tous les citoyens. Pour nous, syndicalistes, sortir de la crise/ c'est construire un développement durable, c'est donner la priorité à la création d'emplois, en renforçant les systèmes de protection sociale et en s'appuyant sur des services publics performants. Au lieu de vouloir flexibiliser le marché du travail, diminuer les salaires, augmenter l'âge de la retraite, il faut de toute urgence reconstruire un véritable projet positif qui propose aux travailleurs et aux allocataires sociaux un- avenir ouvert, enthousiasmant, qu'ils aient envie de construire. Comme syndicalistes, nous restons des militants de la construction européenne mais nous la voulons plus humaine et plus sociale. D'urgence, nous, avons besoin d'une autre Europe.

(1) Les sondages de l'Eurobaromètre indiquent qu'entre 2007et 2010, le pourcentage d'Européens qui jugent positive l'appartenance de leur pays à l'UE est passé 57 à 49 %.

10.03.2011

La maturation de la démocratie européenne

Par Pia Locatelli, présidente de l'Internationale socialiste des femmes, ancienne parlementaire européenne (PSI) et Gianni Copetti, président de Iniziativa-europea.eu

Les politiques de Bruxelles sont largement perçues comme une menace contre le statut économique, professionnel et social. L'opinion s'en désintéresse faute d'apercevoir un moyen de les influencer. L'absentéisme croissant aux élections européennes est la manifestation de ce sentiment d'impuissance. Pourtant la préservation d'un modèle social où liberté, solidarité et progrès sont en équilibre ne peut venir que d'actions au niveau du continent.

Si l'Europe est la première puissance économique du globe, capable de générer assez de richesse pour pouvoir mener sa propre voie, il n'en va ainsi d'aucun de nos Etats. Les politiques actuelles ne paraissent pas en mesure de définir une alternative à la gestion de la société par les marchés qui est à l'origine de la crise. Il est temps de réclamer l'Europe sociale qui suppose la maturation de la démocratie européenne.

La politique sociale reste nationale malgré les objectifs de promotion de l'emploi, d'amélioration des conditions de vie et de travail et de protection sociale adéquate que l'Union européenne (UE) s'est donnée. Ces objectifs sont des vœux pieux dont la réalisation est confiée aux forces du marché. Pour les réaliser, l'Europe se limite à encourager la coopération par des études, à des avis et à l'organisation d'échanges de bonnes pratiques. Ces "mesurettes" ne peuvent conduire à l'harmonisation des systèmes de sécurité sociale, du droit syndical et des négociations collectives, ni des politiques de l'emploi, du droit du travail ou de la formation professionnelle.

En matière d'emploi, des analyses et échanges d'informations sont prévus sans harmonisation législative. La diversité des équilibres sociaux est empêchée d'évoluer vers plus de progrès au risque de leur refonte à la baisse au nom de rentabilité. Le traité d'UE stipule que l'harmonisation des droits des travailleurs requiert l'unanimité même si cette harmonisation est requise pour le fonctionnement du marché intérieur.

Les matières de la sécurité sociale, de la protection sociale, de résiliation du contrat de travail et des droits syndicaux restent privées de possibilités d'évolution politique par l'imposition de la règle exceptionnelle de l'unanimité. L'Europe ne peut se borner à considérer ses citoyens comme des consommateurs en leur faisant supporter comme travailleurs le poids de la rentabilité des investissements. En laissant le marché détruire nos conditions sociales au nom de la flexibilité, l'Europe se conforme au modèle anglo-saxon, sans voir que c'est lui qui nous a conduits dans l'impasse.

Les démocrates doivent avoir pour priorité que les objectifs sociaux de l'UE puissent être atteints par un vote à la majorité des Etats, avec une pleine implication du parlement européen et permettant aussi des coopérations renforcées.

Dans l'immédiat, mobilisons-nous pour que la Commission présente dans le cadre de l'élimination des distorsions de concurrence un agenda d'harmonisation des dispositions légales de nature sociale. Selon le traité la politique de concurrence comme tout autre politique de l'Union doit prendre en compte la garantie de la protection sociale. Même si la poursuite de cet objectif ne peut viser à l'harmonisation des systèmes de sécurité sociale, le renouvellement de l'agenda social du Conseil européen de Nice 2000 pourrait garantir l'équilibre entre flexibilité et sécurité de l'emploi et protection sociale sans attendre une révision du traité. Cet agenda pourrait être réalisé à la majorité qualifiée ou dans le cadre d'une coopération renforcée de la zone euro. Ce pourrait être la chance de stabiliser les conditions sociales au moment où elles ne sont pas encore trop défavorables.

La réalisation de l'Europe sociale suppose l'arrivée à maturité de la démocratie européenne. La démocratie représentative est le fondement de l'Union, il n'est pas nécessaire de faire revivre le spectre d'une constitution établie par-dessus la tête des gouvernements. Donnons à cette aspiration le nom de "fédération européenne des peuples" qui pourrait qualifier notre Union lorsqu'elle sera parvenue à la maturité démocratique. Le facteur initial en est l'approfondissement du rôle des partis politiques européens. Le traité d'UE constate que ceux-ci contribuent à la formation de la conscience politique et à l'expression de la volonté des citoyens de l'Union. Pourtant il ne s'agit que d'organismes de coordination, leur ambition reste limitée au plus petit dénominateur commun existant entre les partis nationaux.

Il faut organiser l'adhésion directe aux partis politiques européens, une telle évolution est un préalable pour que les élections européennes se focalisent autour de ces questions. La composition des listes pour les élections européennes doit aussi réunir des candidats issus de plusieurs Etats membres. Les partis politiques nationaux hésitent à ouvrir leurs rangs à des personnalités d'autres nationalités, pourtant la possibilité de voter pour des candidats majeurs simultanément dans plusieurs Etats membres donnera un visage européen à ces élections.

Des leaders pourront ainsi émerger, investis de la volonté populaire la plus large, avec une vocation à participer à l'exécutif européen, leur légitimité démocratique étant semblable à celle dont bénéficient les membres des gouvernements. Les partis pourront alors annoncer leur préférence pour diriger la Commission en cas de victoire, ce qui établira la Commission comme un authentique gouvernement de l'Europe. L'exécutif européen pourra ainsi être unifié en appelant le président de la Commission à présider aussi le Conseil européen.

Seule cette personnalité jouira en effet de la légitimité démocratique pour représenter l'Europe au plus haut niveau. Elle pourra aussi réaliser l'Europe sociale si c'est la volonté des citoyens de le faire.

10.03.2011

Quand les grands pays européens s'entendent pour imposer leur loi aux petits

Par Guy Verhofstadt, président du groupe de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe au Parlement européen

Merkel. Monnet. Ces deux noms pourraient et devraient même être les deux faces d'une même médaille. Hélas, il n'en est rien, tant chacun incarne des visions différentes, voire contradictoires de la construction européenne. En fait, à bien des égards, soixante ans plus tard, on retrouve la même vision divergente qui opposait Jean Monnet à Charles de Gaulle. Angela Merkel, clone de Charles de Gaulle ? Un comble si l'on songe à ce que l'Allemagne doit à Jean Monnet et à la méthode communautaire qui lui a permis de devenir la puissance phare de l'Europe d'aujourd'hui. La chancelière veut-elle donner raison aux chauvinistes français qui se méfiaient des "revanchards" allemands ?

Considéré comme un des pères fondateurs de l'Europe moderne, Jean Monnet avait une intuition : pour réconcilier la France et l'Allemagne après la guerre, non seulement il fallait mettre en commun les principales ressources de l'époque, le charbon et l'acier, mais aussi élargir ce pacte à d'autres Etats européens, l'Italie et le Benelux, sur la base d'institutions communes permettant tant aux grands qu'aux petits pays d'être paritairement parties prenantes au mécanisme de prise de décisions.

Jean Monnet avait l'habitude de dire : "Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes." Et d'ajouter : "Rien n'est possible sans les hommes mais rien n'est durable sans les institutions." C'est l'invention de la "méthode communautaire".

Avec l'arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle, la France a voulu imposer, au début des années 1960, une autre approche, la "méthode intergouvernementale", préconisée par le plan Fouchet (fondé sur la souveraineté des Etats), en 1962. En substance, les "grands" pays décident, les "petits" exécutent. Ces derniers, avec le soutien de l'Allemagne, ont mis ce plan à la poubelle et l'Europe s'est finalement construite grâce à la méthode communautaire, laquelle ne prive pas les chefs d'Etat et de gouvernement de leur rôle d'impulsion, mais permet de filtrer les débats à travers un exécutif indépendant des Etats membres et détenteur de l'intérêt général européen, la Commission européenne. Aujourd'hui cependant, on assiste à un nouvel assaut des "intergouvernementalistes", qui s'appuient sur le nouveau rôle institutionnel du Conseil européen.

Initiative de l'ancien président français, Valéry Giscard d'Estaing, et de l'ancien chancelier allemand, Helmut Schmidt, la création, dans les années 1970, du Conseil européen n'était pourtant qu'un accident de l'histoire, comme me l'a raconté lui-même ce dernier. L'idée n'était pas d'instaurer une nouvelle institution européenne mais de préparer un cadre informel permettant aux Européens de coordonner leurs positions sur les grandes questions internationales, à une époque où l'Union européenne (UE) n'avait aucune compétence en la matière.

Pour l'ex-chancelier, la menace des missiles SS20 soviétiques et la nécessité pour l'Europe de réagir collectivement à cette situation exigeait un tel cénacle. Du reste, pendant des années, le Conseil européen n'a rien changé à l'équilibre institutionnel européen ni à l'approche communautaire.

Cependant, le ver était dans le fruit. La France, qui a toujours eu un faible pour le concept d'Europe des nations, dans le droit-fil de la pensée gaulliste, n'a ainsi jamais cessé de promouvoir le Conseil européen, socle de la méthode intergouvernementale. Et l'Allemagne n'a longtemps jamais cessé de s'y opposer, privilégiant l'approche communautaire et devenant, de ce fait, l'alliée naturelle des "petits" pays européens.

Une approche qui s'est d'ailleurs révélée gagnante pour l'Allemagne, dont l'économie a profité, plus que beaucoup d'autres Etats membres, des progrès de la construction européenne. Depuis la réunification toutefois, la pensée allemande a lentement mais sûrement évolué et cette évolution a débouché sur l'institutionnalisation, grâce au traité de Lisbonne en 2007, du Conseil européen. De club privé et discret, le Conseil européen est devenu le syndicat officiel des chefs d'Etat et de gouvernement, avec son président permanent, lequel ne cesse d'empiéter sur les compétences de la Commission européenne, sans aucun contrôle démocratique du Parlement européen.

Baptisée "méthode de l'Union" par Angela Merkel, ce coup d'Etat institutionnel n'est jamais que la restauration de la vieille méthode intergouvernementale. Et si nous n'y prenons garde, l'Europe et la France ont tout à y perdre. L'Europe d'abord, qui fonctionne sur la base d'un contrat, reposant lui-même sur des disciplines et des politiques communes dont les contraintes sont acceptées par tous, car chacun participe à leur élaboration à travers le conseil des ministres et le Parlement européen où ils sont représentés au prorata de leur poids démographique respectif, le tout sous le contrôle d'une institution indépendante, la Commission européenne, qui veille au bon respect des règles tant par les "petits" que les "grands" pays.

Cette égalité n'existe plus, ou seulement fictivement, au sein du Conseil européen où les petits arrangements entre amis font office de procédure. Ainsi en est-il du pacte de stabilité, maintes fois violé avec la coupable complicité des chefs d'Etat et de gouvernement et ce malgré les rappels à l'ordre de la Commission. Combien de sous-marins, de chars et d'avions la France et l'Allemagne ont-elles vendus à la Grèce avant de s'inquiéter de l'endettement de la République hellénique, championne d'Europe des dépenses militaires ?

Faut-il acheter des centrales nucléaires françaises ou des machines-outils allemandes pour être à l'abri de sanctions pour mauvaise gestion des finances publiques ? C'est pour éviter cette dérive que la Commission européenne a proposé une réforme du pacte de stabilité, prévoyant un quasi-automatisme des sanctions. Le président stable du Conseil européen, sans oser contester l'objectif, préconise, pour sa part, que les chefs d'Etat et de gouvernement conservent le dernier mot. Autrement dit, un quasi-statu quo. En se ralliant à la "méthode de l'Union" à l'allemande, Nicolas Sarkozy trahit l'esprit de Monnet - ce qui est le moindre de ses soucis - avec le sentiment du devoir gaulliste accompli. Mais le président oublie que son pays n'est plus le même que dans les années 1960 où, fort de sa puissance économique et politique, il décidait de tout. Aujourd'hui, la puissance économique et politique de l'Europe, c'est l'Allemagne, et c'est elle qui impose son tempo et ses thèmes.

L'illustration la plus patente de cette nouvelle donne est le fameux pacte de compétitivité présenté par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy lors du dernier Conseil européen. Un exercice surréaliste pour le président français si l'on songe que la mouture originale de ce texte a été conçue, écrite et diffusée d'abord à Berlin et en allemand. La contribution française s'est limitée à donner son accord. Car c'est ça le problème de la méthode intergouvernementale : tout le monde est égal, mais Angela Merkel est plus égale que Nicolas Sarkozy. Cela ne signifie nullement qu'il faille rejeter les idées contenues dans ce document, première ébauche concrète d'une véritable politique économique et de croissance européenne.

Mais si la France, comme d'autres, veut peser sur la définition de cette politique et sur les mécanismes de sa mise en oeuvre, il est temps de passer la main à la Commission européenne, garante de l'intérêt général européen et de troquer la "méthode de l'Union" pour la "méthode communautaire". Car confier les rênes de l'Europe à la seule Allemagne, c'est prendre le risque d'un douloureux réveil nationaliste chez ses voisins. Et ce regain nationaliste est bien la dernière chose dont l'Europe a besoin.

09.03.2011


Page modifiée le 11 janvier 2015

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